La parole est au cœur du théâtre politique…
Ceux qui savent l’utiliser voire la manipuler sont capables de manipuler les foules… Le président Oligui Nguema n’a pas besoin de cela. Plébiscité par les Gabonais avec un score de 94% lors de l’élection présidentielle, il a utilisé son discours inaugural du 3 mai pour appeler à la renaissance du Gabon et souligné ce qu’il espère être le premier jour d’un Gabon transformé.
A
lan Greenspan, célèbre gouverneur de la Banque centrale américaine, n’était pas connu seulement pour ses talents d’économiste mais pour sa capacité à manier le langage et à faire évoluer les marchés financiers simplement en jouant avec les mots et les silences. Pas besoin donc de modifier les taux d’intérêt ou de lancer une opération d’achat ou de vente de titres pour inciter les investisseurs et les acteurs du marché bancaire à agir comme la Banque centrale le souhaitait. Greenspan n’était ni un tribun, ni un grand communicateur. Il parlait sans articuler, toujours sur un ton monocorde et parfois d’une voix nasillarde. Son vocabulaire n’était pas très riche et il répétait souvent les mêmes mots.
PARLER… POUR NE PAS ÊTRE COMPRIS
Pourtant, il lui suffisait de faire une déclaration publique délibérément obscure pour que les épargnants et les investisseurs institutionnels (organismes gestionnaires d’épargne comme les banques, les compagnies d’assurance, les caisses de retraite, les fonds communs de placement, etc.) se précipitent pour faire des placements ou se retiennent d’en faire, permettant ainsi à la Banque centrale de mener la politique monétaire à sa guise, sans même avoir à recourir aux instruments traditionnels. S’exprimant devant une
commission sénatoriale en 1987, Greenspan avait même vanté son talent à s’exprimer dans le but de… ne pas être compris. « Si je vous parais très clair, avait-il dit à un sénateur, c’est que vous avez mal compris ce que j’ai dit… ».
Cet homme profondément pieux croit fermement que le changement commence par la pensée.
PARLER… POUR VENDRE DES ILLUSIONS
Les vertus de la parole et du silence mystificateur et stratégique sont bien connues des hommes politiques depuis la nuit des temps. Certains – notamment les chefs d’Etat qui se proclament révolutionnaires comme le Cubain Fidel Castro – s’illusionnent de pouvoir changer le réel avec de simples mots et des slogans.
Convaincus du pouvoir quasi magique des discours incantatoires, ils utilisent l’exubérance du langage comme arme mobilisatrice des énergies. Ils en usent au point d’en abuser, parlant constamment et de tout, donnant leur opinion sur tous les sujets, se posant ainsi en sages omniscients, au risque d’apparaître surtout comme des caricatures de « premiers de la classe »…
PARLER… POUR TRANSFORMER LE MONDE
Le président Brice Clotaire Oligui Nguema a une approche très particulière de l’art de la parole : il ne se situe ni dans le camp de ceux qui, comme Greenspan, parlent dans le but de ne pas être compris, ni dans celui des révolutionnaires comme Fidel Castro qui offrent des mots et des discours sans parvenir à sortir leur pays de la pauvreté. Cet homme profondément pieux croit fermement que le changement commence par la pensée, exprimée dans le langage. Lecteur de l’Evangile de saint Jean, il croit qu’au commencement était la parole. Admirateur du général de Gaulle, il sait que rares sont les soldats qui sont à la fois des tribuns et des hommes politiques sophistiqués. Mais il a confiance en sa propre étoile et il croit fermement que cette année 2025 est son moment à lui, celui où il rencontre son peuple et communie avec lui pour tracer un nouveau chemin.
LE CHEMIN VERS LE SAINT GRAAL
Quel meilleur moment que sa prestation de serment le 3 mai à Libreville pour articuler sa vision d’avenir et présenter à son peuple le chemin à parcourir pour atteindre le Saint Graal ? Ce samedi-là, à l’emblématique stade de l’Amitié d’Angondjé à Libreville, Brice Clotaire Oligui Nguema a cassé tous les vieux codes du passé.
Le choix d’un lieu populaire et ouvert était en soi un message : rien ne serait plus comme avant.
Déjà, le choix de ce lieu populaire et ouvert à tous était en soi un message clair : rien ne sera plus comme avant. Quelque 40.000 citoyens de toutes les conditions sociales (la majorité étant des couches les plus
modestes) avaient eu ainsi accès au moment politique le plus important de l’histoire du pays depuis l’indépendance. Ils étaient non pas « à la fenêtre » mais « dans la salle » et au premier rang de ce lieu spécial où s’écrivait un nouveau chapitre de la course du Gabon vers sa dignité. La décision du président exaltait la foi en un destin commun et reflétait sa volonté « d’inscrire la nouvelle gouvernance dans la transparence, l’unité et la proximité avec les citoyens », selon le mot d’un analyste gabonais.

APPEL À LA RENAISSANCE D’UNE NATION
A l’entame de son discours, Brice Clotaire Oligui Nguema a surpris en incluant dans les salutations d’usage les personnalités les plus populaires et les plus influentes de son pays, dont les hommes politiques ne parlent pratiquement jamais : les leaders des confessions religieuses et les « éminents membres de la classe des sages, des coutumiers et traditionnels ». « Celui qui se tient aujourd’hui devant vous ne célèbre ni sa victoire, ni celle d’un parti, ni d’une ethnie, il veut rendre hommage à la renaissance d’une nation », a déclaré tout de go Brice Oligui Nguema. Et de préciser, à ceux qui n’auraient pas compris son appel à l’unité nationale : « A cet instant précis j’ai une pensée pour les autres candidats qui ont pris part à cette élection. » Les youyous et les applaudissements ont crépité à travers les tribunes.
RENDRE GRÂCE À DIEU
Cette seule mention de personnalités dont la contribution à la construction du sentiment national est souvent ignorée a séduit. Puis, le président nouvellement élu a commencé en rendant grâce à Dieu. « Qu’il m’accorde la sagesse et le discernement nécessaires, de gouverner pour l’épanouissement et le bienêtre du peuple gabonais. » Quelques cyniques en ont fait des commentaires sarcastiques. La grande majorité des Gabonais et des Africains ont vu dans son propos une forte dose d’humilité et de simplicité, bien rare chez les leaders du monde. Comment ne pas être impressionné, en effet, par la modestie d’un chef d’Etat, général de brigade de surcroît, qui puisse ainsi solliciter publiquement l’onction divine le jour même de son intronisation et alors qu’il est au faîte de sa gloire ?

INSTALLER UN VÉRITABLE ETAT DE DROIT
Le chef de l’Etat gabonais a ensuite souligné l’importance de la justice comme moteur de la décision et de l’action, rappelant que les Saintes Ecritures enseignent que c’est elle qui élève une nation. Et que la Cinquième République, qui a démarré officiellement avec sa prestation de serment, exige la fin de l’impunité, de la corruption, de la cupidité, du laxisme et de la paresse. Finie la caricature du Gabonais imaginaire entretenu par la rente pétrolière !
L’administration doit être performante. Chaque citoyen, étant dépositaire de l’autorité de l’État, doit remplir sa mission dans le respect des lois et règlements en vigueur, afin d’installer un véritable Etat de droit.
Chaque citoyen, étant dépositaire de l’autorité de l’État, doit remplir sa mission.
CALENDRIER ÉLECTORAL ENCORE CHARGÉ
Pour réaliser cet agenda ambitieux, Brice Clotaire Oligui Nguema a été très clair et très précis, indiquant que le retour à l’ordre constitutionnel sera complété par l’organisation des élections législatives et locales. Jumelés pour des raisons d’efficacité politique et d’optimum budgétaire, ces scrutins se tiendront les 27 septembre et 11 octobre. Quant aux élections sénatoriales, elles auront lieu les 8 et 29 novembre. Un tel calendrier, annoncé très longtemps à l’avance, permettra au Gabon de disposer d’un parlement élu dès le 4 novembre pour l’Assemblée nationale et le 15 décembre pour le Sénat. S’agissant du Conseil économique, social, environnemental et culturel, sa mise en place se fera le 1er décembre. Enfin, les juges constitutionnels désignés le 19 décembre, prêteront serment le 23 décembre. Même les horlogers suisses ne sont pas aussi précis !

UN BESOIN DE CHANGEMENT FONDAMENTAL
Normal : en le plébiscitant avec 94,85% des suffrages comme président le 12 mars, les Gabonais affirmaient le besoin d’un changement significatif qui consolide l’engagement vers une gouvernance responsable et participative. « Vous m’avez conféré une légitimité sacrée qui fait de moi le dépositaire d’une nouvelle espérance où chaque voix compte, a déclaré le nouveau chef de l’Etat, dans une très belle langue poétique. Le mandat qui débute est le vôtre. Le projet politique que j’ai présenté est le nôtre. Il dessine un Gabon différent, en phase avec nos aspirations. »
Jamais, dans les annales de la politique, un président de la République n’avait parlé ainsi.
Ses derniers mots dans ce stade chauffé à blanc par l’enthousiasme, la musique et l’optimisme, ont surpris l’audience et provoqué une onde de choc positive à travers l’Afrique : « Peuple gabonais, je vous aime ! », a lancé le président. Les 40.000 âmes amassées dans les tribunes et gradins ont alors chaviré.
Jamais, dans les annales de la politique, un président de la République n’avait parlé ainsi.
L’histoire, la grande, commence donc !
